« On n’aura jamais une société parfaite mais une meilleure société » : interview du poète congolais Florian Amaru
Cher(e)s lecteur.rices, le poète Florian Amaru a accepté (après l’entretien de 2013) de répondre à nos questions sur les questions de gouvernance participative en RDC ainsi que sur la risposte de la maladie Covid-19 en RDC. A quelques jours de la célébration du 60 ème anniversaire de la RDC, le 30 juin.
Panafricaniste, il est un analyste-politique des biographies des grands défenseurs des droits humains que le monde a connu. Malcom X, Martin Luther King, Gandhi, Mandela, Lumumba, Nkrumah, Cheick Anta Diop. Plus de trente poèmes à son actif et deux livres distribués en e-book : Le changement de l’Afrique commence par nous et Jeunesse éveille-toi.
Pour bien résumer son travail je dirai tout simplement qu’il est un acteur de changement et figure parmi les congolais qui agissent pour l’intérêt général dans toute entreprise. Quatre-vingt millions de préoccupations des congolais, quelques âmes dévouées pour trouver la solution ; Florian Amaru fait partie de ce dernier groupe.
Chantal Faida : La RDC est agressée dans toutes les limites de ses frontières. Quelle est votre analyse ?
Florian Amaru : Comme beaucoup de Congolais le savent, nos frontières sont poreuses et nos terres sont convoitées par tout le monde. Il y a une quasi-inexistence des forces armées dans certains coins du pays, ce qui rend le peuple à la merci d’envahisseurs de tout bord. Les exemples sont légions, à Aru, à Beni, en Ituri, des étrangers viennent sévir dans l’impunité totale car l’impression amère est que l’Etat Congolais est fragile. Les terres d’un pays sont sacrées et quand elles sont sans cesse violées, le prix à payer est coûteux. Il s’agit de vies humaines, d’enfants et de femmes Congolais qui crient mais dont les pleurs sont étouffés par les chamailleries internes des autorités. La cacophonie et ces disputes qui sont devenues monnaie courante ne concernent en rien la population, au contraire lui rendent un mauvais service. La priorité pour certains est leurs postes plutôt que la sécurité, l’eau, l’électricité pour le peuple…
Chantal Faida : Les problèmes sociétaux sont légion. Manque de justice sociale, grande pauvreté, chômage élevé, non respect des droits des femmes, etc. Comment pouvons-nous endiguer ces défis de gouvernance?
Florian Amaru : Comme vous venez de le peindre si bien, le portrait est infâme. Tous ces fléaux sont le cadet des soucis de ceux qui ont été élus pour apporter un plus, pour contribuer, et le peuple doit comprendre que le fanatisme aveugle, le tribalisme, l’indifférence sont les fléaux qui sont les plus à craindre. Tant que le Congolais mettra ses intérêts personnels avant ceux du pays, nous avancerons à reculons. Rien n’est garanti pour ces jeunes dynamiques et pleins de vie, rien n’est dit contre les inégalités sociales, au contraire, tout porte à croire qu’elles sont encouragées.
Chantal Faida : Des écrivains ont fait leurs parts, en écrivant des textes très engageants mais le changement traîne, est-ce qu’ils peuvent agir autrement ?
Florian Amaru : Oui, les écrivains font des textes, les activistes dénoncent et manifestent, le personnel médical soigne, chacun fait ce qu’il peut avec ce qu’il a, chacun fait sa part. Le peuple se demande, où est la part des dirigeants dans tout ça? Le changement tarde à venir parce qu’une majorité ne fait pas sa part, ne tient pas ses engagements et ainsi compromet les efforts des autres. La société marche en synergie, le pays est une collectivité où chaque méfait d’un individu a des conséquences immédiates sur les autres. Le médecin qui ne fait pas bien son travail ôte la vie à un patient et ainsi, apporte désolation à une famille. Un policier qui, au lieu de protéger et servir, prend le peuple pour sa vache à lait, souille non seulement son uniforme, mais crache sur la République et devient un criminel. Chacun a son niveau doit prendre ses responsabilités, nous n’aurons jamais une société parfaite mais nous pouvons avoir une meilleure société si chacun balaye devant sa porte.
Chantal Faida : « On n’aura jamais une société parfaite mais espérer une meilleure société », analyse très inspirante. Pensez-vous qu’on peut garder espoir que les choses changeront dans ce pays?
Florian Amaru : L’espoir ne peut nous quitter car nous n’avons que le Congo comme terre. Désespérer au sujet du Congo, c’est comme amener un membre de famille à l’hôpital et être garanti qu’il ne va pas s’en sortir. Dans mon poème, qui sera en vidéo, prévu pour ce 30 juin 2020 à l’occasion des 60 ans d’indépendance, je dis: »Le vent de l’espoir souffle, les jours qui viennent seront beaux, voulez-vous élever la Nation ou le laisser dans le tombeau ? » Dur de continuer à croire quand on est au chômage depuis des années, dur de garder espoir quand tous les signaux sont au rouge, dur d’avoir l’espoir quand on manque de quoi manger, dur de garder espoir, quand on vit dans une contrée en conflit où chaque jour a l’air d’être le dernier, oui c’est dur. Presque impossible pour certains, je dois vous avouer qu’il m’est arrivé plusieurs fois à perdre tout espoir pour le Congo mais pour l’instant, c’est tout ce qui nous nourrit. L’espoir est ce qui nous permet d’avancer même quand le quotidien nous fait reculer.
Chantal Faida : Depuis le 10 mars 2020, le nouveau virus COVID19 affecte profondément le quotidien de la population congolaise. Les mesures de confinement sont toujours en place. A part la faiblesse de notre système de santé, il y a le manque de mesure d’accompagnement pour maintenir l’équilibre du cadre macro-économique. Quelle piste de solutions proposerez-vous aux autorités sanitaires et gouvernementales?
Floriant Amaru : Il y a eu beaucoup d’hésitations au départ pour la riposte contre la Covid-19, beaucoup jusqu’à ce jour ont du mal à croire que ça existe parce qu’il y a eu de gros problèmes de communication. Heureusement, plusieurs ONG, mouvements citoyens ont sensibilisé en masse au sujet de la pandémie, ce qui a eu des effets positifs dans l’ensemble. Et les quelques mesures, malgré les bavures policières qu’il faut souligner, ont permis à certains de se procurer de cache-nez, se laver les mains régulièrement et respecter les gestes barrières. Mais dans plusieurs endroits du pays, ce n’est pas évident. L’eau pose un énorme problème dans la ville de GOMA, et en pleine pandémie, c’est un grand obstacle, un casse-tête.
Mais il faut aussi souligner les conséquences économiques pendant et après cette pandémie. Les mesures prises pour alléger la situation ne sont pas encore à l’horizon, les prix des denrées alimentaires ont grimpé pour une population dont 85% sont au chômage. Certains d’ailleurs pensent qu’ils ont plus peur de la famine que de la Covid-19 et ils n’ont pas totalement tort vu la situation sociale actuelle. Des sommes énormes se trouvent entre les mains de quelques individus, des sommes qui pourraient améliorer les conditions de travail du personnel médical, des sommes qui pourraient aider à équiper certains hôpitaux en médicaments et respirateurs artificiels par exemple. Selon un rapport, le Congo qui importe pratiquement tout de l’étranger est l’un des pays les plus exposés à la crise alimentaire.
Cette crise sanitaire est à mon avis l’opportunité rêvée de prendre nos responsabilités, d’investir davantage dans la pêche et l’agriculture, investir dans les PME des jeunes entrepreneurs afin de ne plus dépendre des autres mais en même temps créer de l’emploi. La jeunesse fait ce qu’elle peut mais ses marges de manœuvre sont limitées et c’est compréhensible vu la conjoncture actuelle. La jeunesse a rempli son devoir civique en allant aux élections, mais ceux qui ont été « élus » ne rendent aucun compte à cette jeunesse. La jeunesse doit rester éveillée, avertie et continuer à participer autant qu’elle peut pour apporter de la lumière dans un coin sombre de la République.
Extrait d’un des ses poèmes en prévision de la commémoration du 60ème anniversaire de la RDC, le 30 juin.
Le vent de l’espoir souffle
Tenons le flambeau
La patrie est tout ce qui nous reste
Qui trahit sa mission, trahit sa nation