Quand l’Eglise s’engage dans la lutte pour la paix dans la sous-région des Grands Lacs Africains
Contrairement aux déblatérations de l’ancien Président français, Nicolas Sarkozy, lors de son discours sur l’Afrique, ce que moi j’ai qualifié à l’époque, de verbiage superfétatoire; les africains sont rentrés dans l’histoire. L’Afrique a une histoire. Et elle continue à écrire ses pages, les plus belles et objectives de son histoire.
Depuis que le monde est monde, jamais je n’ai pris part à une manifestation aussi grande qu’historique. Une histoire qui s’écrit sous mes yeux. Des peuples qui renouent les liens d’amitié et de fraternité après la guerre. Cet évènement grandiose arrive à point nommé, au moment où les esprits étaient échauffés et, où des tensions et sentiments de haine montaient d’un cran après les multiples formes d’agression des pays voisins faites au Congo. J’exprime le vœu de voir se réaliser dans un délai court, toutes les propositions et recommandations de nos pères les Evêques pour une quiétude, prospérité et émergence des pays de la sous-région des Grands Lacs africains.
Sous l’impulsion de l’Association des Conférences Episcopales de l’Afrique Centrale, l’ACEAC en sigle (elle regroupe l’ensemble des archevêques et évêques catholiques du Burundi, de la RD-Congo et du Rwanda) ; une campagne « Paix aux Grands Lacs » qui s’étendra sur une année – soit du 01.12.2013 au 01.12.2014 -, a été lancée, ce dimanche, à Goma dans la capitale provinciale du Nord-Kivu de la RDC.
« Oh quel plaisir, quel bonheur de se trouver entre frères ! » Psaumes 133, 1
« Oui je le sais : Le Seigneur est grand ; notre Seigneur surpasse tous les dieux. Tout ce qu’a voulu le Seigneur, il a fait dans les cieux et sur la terre, dans les mers et dans tous les abîmes. » Psaumes 134, 5
Un évènement extraordinairement impressionnant qui a vu la participation de centaines de milliers de fidèles laïcs catholiques et anglicans venus du Rwanda, du Burundi et ceux de la RDC.
Notons que plusieurs séances de sensibilisations sur la paix aux grands lacs avaient été organisées peu avant le lancement proprement dit des activités dans les différentes paroisses des pays concernés. « La terre est notre maison commune. Nous sommes frères et sœurs. Disons tous NON A LA GUERRE.» Thème largement abordé.
L’élément pivot du début de la manifestation, la procession. Un geste symbolique, signe de convivialité sans frontières. Un groupe de fidèles des paroisses de Goma au Congo est allé attendre à la barrière rwando-congolaise, les fidèles du Rwanda et du Burundi pour la procession au devant de laquelle il y avait une croix portée par un acolyte, suivi de chantres (de tous les trois pays), les concélébrants, les officiels (de tous les trois pays), puis les peuples rangés les uns après les autres par paroisse, encadrés par leurs prêtres (de tous les trois pays) ou pasteurs respectifs vers le lieu de la célébration à la place Jean Paul II (au Collège Mwanga). Une sérénité résonne durant la marche pacifique des chrétiens sous le regard curieux du public de Goma.
Vers un projet de justice, de paix, de respect et de communion fraternelle
« Seigneur notre Dieu, voici ton peuple qui, aujourd’hui ouvre sa marche vers un projet de paix pour l’Afrique des Grands Lacs. Puisse cette marche être bénie et accompagnée par Toi, Seigneur de la paix. Accompagne-nous et éclaire notre engagement vers un projet de justice et de paix, de respect et de communion fraternelle. Nous te le demandons, Toi par qui règnes pour les siècles des siècles. Amen ! Prière formulée au début de la marche par Monseigneur Théophile Kaboy, Evêque du Diocèse de Goma.
« Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix. Là où il y a de la haine, que je mette l’amour.» Ainsi était entonné en chœur, habillé en noir et blanc, d’une voix adorable, angélique et uniforme le chant de méditation le long de la procession par la chorale anglicane de Goma.
On ne le dira jamais assez, le peuple de la sous-région des Grands Lacs est pacifique. La guerre qui a longtemps dévasté cette partie de l’Afrique est l’œuvre non des populations mais bien de leaders de la région. Conscients de la situation, le peuple, longtemps victimes de ces violences, sont unanimes : les choses doivent changer. Et ce, au travers d’une campagne de paix, sous le thème : « Ensemble pour LA JUSTICE, LA RECONCILIATION ET LA PAIX. » Une grande première, jamais initiée auparavant.
Le peuple de toutes les langues, toutes les races, ethnies, religion de la sous-région à l’initiative de l’Association des Conférences Episcopales de l’Afrique Centrale, l’ACEAC ; s’aiment et s’engagent à propager cet amour dans le cœur de leurs dirigeants.
La consécration de cette journée de lancement des activités de la campagne (1.12.2013) par l’ACEAC coïncide avec le temps de l’avent dans l’Eglise (occasion de conversion pour renouveler l’accueil du prince de la paix) et la solennité de la Bienheureuse Anuarite. C’est un signe qui n’offusque pas le dépassement de clivages sociopolitiques entre peuple.
Voici le temps favorable
« J’ai vu la misère de mon peuple … J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs… et je suis décidé à le libérer … » Romains 13, 12
« Nos peuples sont fatigués de la récurrence des violences et des crises sanglantes et complexes qui se nourrissent de l’illusion du triomphe de la force et des armes. Cette illusion a fait de notre sous région le théâtre des crimes multiformes contre l’humanité sans jamais pour autant assouvir le désir de puissance des belligérants. Conséquences d’une perversion de notre histoire et d’une manipulation de nos identités tribales et nationales à des fins égoïstes d’ici et d’ailleurs, cette spirale de la violence continue ça et là à renforcer les archétypes dégradants qui cultivent la haine, la méfiance, et autres formes d’animosité des uns à l’égard des autres. La gestion inadéquate des réfugiés et des déplacés renforce la suspicion entre nos Etats et nos communautés. Le manque d’une politique cohérente de démobilisation, de désarmement et de réintégration d’anciennes milices et d’anciens combattants nourrit le cycle de violence. La stratégie de la violence comme moyen privilégié de résoudre tout différend entre communautés à cristallisé l’esprit de vengeance et la tentation à l’exclusion entre nos peuples. » Extrait de l’Allocution des Evêques catholiques et de l’Eglise Anglicane de la RDC, Rwanda et du Burundi aux autorités politiques et aux hommes de bonne volonté, lu par Mgr Fridolin AMBONGO, Evêque de Bokungu-Ikela. Président de la commission justice et Paix ACEAC et coordinateur de la campagne « Paix aux Grands Lacs ».
Il poursuit : « Chacun de nos pays a pu organiser des élections multipartistes avec progressivement moins de violence. Nous nous sommes souvenons du dialogue inter-burundais d’Arusha qui s’est donné l’option de respecter les droits culturels de ses populations, du dialogue inter-congolais de Sun city et de Goma qui a favorisé la libre expression devenue presque une réalité au Congo, et du processus volontariste au Rwanda de la justice et de réconciliation à travers les assises foraines Gacaca et autres pas, très encourageants. »
Une merveilleuse journée. Au programme, plusieurs activités. Des prêches de différents pasteurs et prêtres, dans plusieurs langues ; Swahili, kinyarwanda et Français, des chants en toutes les langues sont entonnés par des chorales différentes, de moments de méditation personnels.
Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien
« Paix aux grands lacs est une réponse pastorale aux cris de douleurs des peuples exprimées par nous, Archevêques et Evêques catholiques membres de l’ACEAC (…) du Burundi, de la RDC et du Rwanda. Engagés à la suite de Notre Dieu Libérateur, nous sommes témoins au quotidien du cri de douleur de nos filles et fils qui ploient sous le poids d’une longue histoire de violents conflits. Nous avons expérimenté des pics d’horreurs lors du génocide qui a coûté la vie à plus de un million de personnes au Rwanda, des crises meurtrières qui ont semé la désolation au Burundi et des massacres de plus de six millions de congolaises et congolais.
Depuis de longues années, nous implorons le Seigneur, jour après jour pour qu’il nous accorde le don du pardon, de la paix et de la réconciliation, afin que soit restaurée la vie fraternelle dans notre sous-région. » Des messages forts lus et traduits en plusieurs langues par différents Évêques.
« Vos mains sont pleines de sang : lavez-vous, purifiez-vous ! Otez de ma vue vos actes pervers ! Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien ! Recherchez le droit chemin, redresse le violent ! Faites droits à l’orphelin, plaidez pour la veuve ! Isaïe 1, 16-17
« Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal. »
« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Parole de Jésus à ses disciples. » Des passages poignants tirés des saintes écritures lus.
Pour une coopération socio-économico-culturelle équitable entre Etats
Les pasteurs se sont réjouis des initiatives des deux regroupements régionaux ; la CEPGL (Communauté Economique des Pays des Grands Lacs) et la CIRGL (Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs) qui offrent des espaces de dialogue et de collaboration entre les Etats de la Région. Et sur le plan international, ils affirment avoir accueilli favorablement les initiatives prises en faveur de la sécurisation de la région, de la traçabilité et commercialisation des ressources naturelles. Ils ont aussi salué la mise en place de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération en RDC et dans la région des Grands Lacs, la loi Dodd-Frank et les mesures en cours d’adoption en Europe pour réglementer davantage, le secteur pétrolier, gazier et minier.
Chacune de nos vies est un don précieux
Les pasteurs ont formulé des recommandations à toutes les couches sociales et qui feront continuellement l’objet de suivi et évaluation dans tous les Etats concernés au travers de conférences, séminaires et cultes œcuméniques :
– A la population : l’espoir d’un avenir commun entre nos peuples. Posons les jalons d’une génération nouvelle qui a enterré la hache de la guerre.
– Aux groupes armés : « chacun de nous possède une grandeur individuelle. Dieu ne serait pas notre auteur si nous n’avions aucune valeur. Vous et moi, et nous tous, nous avons une grande valeur, puisque nous sommes des créatures de Dieu, et Dieu a prodigué ses dons merveilleux à toute personne. Galates 3.28. Nous partageons tous la même identité d’être enfants de Dieu. Chacune de nos vies est un don précieux que nous sommes appelés à préserver. « Tu ne tueras point. » Exode 20, 13. « Tout ce que vous ferez à l’un d’entre eux, c’est à moi que vous le faites ». Mathieu 25, 31-46. « De nos épées, forgeons des socs de charrue. » Isaïe 2,4.
– Aux chefs d’Etat, Elites de tout ordre, amis et représentants de la communauté internationale, nos Eglises Sœurs d’Afrique, d’Europe, et des Amériques, vous tous soucieux de la reconstruction de la cohésion sociale :
- Au respect des principes sacrés de souveraineté et d’intégrité de chaque Etat en vue d’une franche collaboration et d’une coopération économique transparente et orientée vers le développement socio économique et relationnelle de nos peuples ; au-delà de leurs différences. (…) à la promotion du dialogue ;
- Faire de l’alternance pacifique au pouvoir une réalité et une culture dans la sous région par le respect scrupuleux des constitutions, renforcer l’Etat de droit dans chacun des pays de la région, de liberté, de respect des droits humains, d’initiation au devoir civique et de participation citoyenne aux différents processus de prise de décision.
- De l’utilisation efficiente des ressources générées par les industries extractives pour faire reculer la pauvreté, de la promotion des projets intégrateurs au niveau régional, et de la gestion rationnelle des écosystèmes et de la biodiversité.
- Renforcer l’accompagnement non seulement matériel, mais psychosocial et spirituel des refugiés et des membres de leurs communautés d’origine ou d’accueil, pour une intégration ou une réinsertion sociale dans le respect de la dignité des uns et des autres.
- Un renforcement des capacités professionnelles et techniques, mais surtout éthiques, morales et spirituelles des élites et des jeunes s’accompagnant d’un emploi judicieux des ressources humaines existantes.
Ne laisse pas ton peuple, ô Seigneur notre Dieu, céder aux idéologies qui divisent.
Le temps fort, le moment tant attendu arrive. L’heure de vérité sur les causes profondes de l’instabilité récurrente dans la sous région. Je n’ai eu de cesse de le dire : Ce ne sont pas les politiques qui font le peuple mais c’est le peuple qui fait (légitime) le politique.
Les peuples rwandais et burundais ont demandé pardon au peuple congolais. Je vous laisse découvrir cette phrase historique dans les lignes qui suivent. Il s’en est suivi une prière réciproque.
Prière du Burundi pour la RDC, et de la RDC pour le Burundi. Du Rwanda pour le Burundi et du Burundi pour le Rwanda. Du Rwanda pour le Congo et du Congo pour le Rwanda. Les messages étaient lucides et porteurs. « Nous voulons la paix dans nos pays. » Je n’ai pas pu enregistrer les messages du Congo sur le Burundi et vice versa, faute d’énergie dans mon enregistreur. J’en suis désolée.
Message du Congo au sujet du Rwanda :
« Nous frères et sœurs du Congo, adressons ce message de paix aux frères et sœurs du Rwanda. Nous avons encore en mémoire, les terribles événements du génocide de 1994 que vous avez vécu. Nous avons communié à votre souffrance et continuons à prier pour la guérison des profondes blessures laissées dans le cœur. Que plus jamais cette honte pour l’humanité ne se reproduise ni au Rwanda, ni ailleurs. Nous saluons le courage avec lequel vous avez su faire face à ce drame et vous encourageons à préserver sur le chemin de la réconciliation, de la justice et de la paix. Au delà des conflits à répétition, nous constatons avec joie, que le peuple de nos deux pays continue d’entretenir des relations de bon voisinage et de cohabitation pacifique. Nous vous remercions de l’accueil fraternel que vous réservez à nos compatriotes en séjour en exil, spécialement pour nos frères refugiés dans votre pays. Par ailleurs bien de situations de détresse nous préoccupent. Notamment la persistance de souffrances de nos populations consécutives à la récurrence des conflits des groupes armés. Ces conflits ont détruit des millions de vies humaines et créer des profondes blessures. Des obstacles majeurs à la paix persistent sur ce chemin pour nos deux communautés nationales. La présence de milices armées, FDLR (Force Démocratiques pour la libération du Rwanda) sur le territoire congolais, la persistance des groupes armés qui déstabilisent notre pays, nous souhaitons vivement que nos leaders se parlent ; entre autre pour que soit trouvée une solution aussi équitable, que possible aux problèmes des exilés ; parmi lesquels membres du FDLR. Ce sera bon pour la paix chez vous et chez nous. Travaillons ensemble à la promotion et au développement des projets, à l’intérêt commun, dans le domaine des infrastructures, des échanges commerciaux, de l’énergie, de l’éducation et d’autres domaines vitaux. Vivre en paix est possible entre nos deux pays. Nous formulons le vœu que cela devienne une réalité et une vraie culture. »
Prière
« Seigneur Dieu, nous te supplions d’accorder la paix au Rwanda. Panse les blessures de ces longues années de guerres, que soient toujours plus vifs et plus opérants nos sentiments d’amitié et fraternité au service de ton royaume, seigneur écoute nos prières. »
Message du Rwanda à la RDC :
« Tenant compte du message de Jésus-Christ qui veut le bonheur de toutes les nations, tenant compte des messages vibrants de nos chers frères les Evêques de la CEAC qui appellent à l’unité, au respect mutuel entre les peuples, tenant compte de l’état de lieu où les guerres fratricides ravagent la sous-région des Grands Lacs, surtout dans l’Est de la RDC, nous frères et sœurs du Rwanda, adressons aux frères et sœurs du Congo, ce message de réconfort et d’encouragement en tenant compte des liens historiques très forts existants depuis des années entre le peuple rwandais et le peuple congolais. Le peuple est, et reste solidaire au peuple congolais, particulièrement au peuple de la région est de la RDC qui vit des atrocités interminables et qui les rendent vulnérables. Nous déplorons la présence nuisible des groupes armés qui naissent en marge de la vie du peuple congolais en usant des violences de tout genre. Nous souhaitons au peuple congolais de renforcer des liens internes entre communautés. Une façon particulière, une attention soutenue et requise pour une gestion judicieuse et l’intégration de ces multiples identités diversifiées et complémentaires, ainsi que sur la gestion adéquate de ces immenses ressources afin que servent de mieux en mieux les services correspondants aux besoins de base. Que le processus démocratique mis en route se consolide au service du peuple congolais. »
Prière
« Seigneur accorde la paix à la RDC. Panse les blessures de ces longues années de guerres. Que chaque jour se passe plus vifs, les sentiments d’amitié et de fraternité au service de ton royaume. Seigneur nous te prions. »
Le jet de six colombes, symbole de paix entre Etats a marqué la clôture des cérémonies, mais le début de la concrétisation des enseignements reçus.
Une journée historique réussie.