Eruption du Nyiragongo : même pas peur !
Des lacs de laves éblouissantes, dégageant une chaleur extrême et asphyxiant des âmes à proximité, ravageant sans pitié maisons, commerces, écoles, hôpitaux, etc. Le bilan 48 h après la troisième éruption du Nyiragongo dans la ville mythique de Goma renseignait 32 morts, 8 blessés, près de 200 enfants disparus, 20 villages engloutis avec plus de 2.500 maisons, le réseau d’eau et d’électricité fortement endommagé et 1.700 m de routes détruites, bloquant la circulation de l’axe le plus fréquenté, Kibumba-Rutshuru-Beni et donc le ravitaillement alimentaire de Goma.
Acte 1 : panne incompréhensible de l’alarme de l’OVG
La réaction des autorités compétentes n’a pas été à la hauteur de la situation. D’aucuns affirment que l’impression donnée par le gouvernement militaire du Nord-Kivu est semblable à l’attitude d’un compétiteur de boxe, qui, même sans entrainement conséquent, crie à qui veut l’entendre qu’il n’a pas peur face à l’adversaire qui qu’il soit ! Alors que la nature a pris 19 ans d’entraînement depuis l’éruption de 2002 !
La population n’a pas senti la force des pouvoirs publics pour surtout prévenir la crise, et même gérer les conséquences humanitaires graves causées par les déplacements de plusieurs ménages. Coordination humanitaire, transport, soins, logements, vivres… Au moment M, presque tout manquait.
L’avant-midi du samedi était paisible. La population faisant de son mieux pour survivre, soutenant avec fermeté les opérations finales du gouvernement de traque des groupes armés dans les six territoires du Nord-Kivu, dans le cadre de l’Etat de siège.
Les vagues surfaient sur les abords du Lac Kivu (fabuleux spectacle qu’on ne peut d’ailleurs percevoir aisément car une certaine classe sociale s’est accaparée le privilège de la belle vue du Lac Kivu et obligeant le commun de mortels constitué pourtant d’une grande majorité de la population à contempler la colline du Mont Goma, à admirer « c’est amplement touristique » la roche volcanique qui d’ailleurs, fertilise les jardins familiales et à observer non sans gêne les mouvements de recherche d’eau potable à pieds, sur des vélos ; encore faut-il savoir « si les humanitaires étrangers ravitaillent les citernes avec du chlore », etc.) ; grosso modo, l’après-midi du 22 mai 2021, tout a basculé, une nouvelle page de l’histoire s’est ajoutée à ma ville.
En début de soirée, des échos authentiques nous parvenaient et annonçaient l’éruption du général, Terminator, voisin éternel Nyiragongo (aucun habitant de Goma n’admet l’option de délocalisation de la ville, c’est comme ça, on aime le volcan même si l’inverse n’est pas vrai). Certaines, « ultracrépidariennes » disaient, « l’éruption est réelle » ; les sceptiques – nombreux – rétorquaient, « on a coutume d’entendre ça, ce n’est pas vrai ; d’ailleurs, un mécanisme d’alerte existe, le signal d’évacuation sera donné. » Oh, que dalle ! D’autres personnes non informées se frayaient avec peine un passage dans le lourd trafic de la grande artère, marché Alanine et entrée du musée, tout cela sans communication officielle claire sur la réalité de ce qu’il se passait.
De fil en aiguille, la lave réelle avançait, les populations résidant les quartiers nord de la ville évacuaient. Les dubitatifs ont cru et ont pris la mesure de la situation.
Acte 2 : 1er épisode d’évacuation, des maisons calcinées
Où partir ? par quels moyens ? avec qui ? qui veille sur la maison ?
Dans l’intervalle d’une heure, toutes ces questions ont trouvé des réponses selon les cas. Les plus forts sont partis se mettre à l’abri dans les endroits plus ou moins sûrs, se remémorant l’éruption du Nyiragongo de 2002 (plus ravageuse). Les questions éminemment éthiques, morales, de bon sens, se posaient face à l’évacuation des personnes à mobilité réduite. Comme disait l’autre, nul n’est fort pour soi-même. La force de toute personne se trouve dans l’aide que cette personne apporte à son semblable, qui est fragile.
Certaines familles ont eu l’idée d’évacuer les « forts » et de laisser les vieux, personnes vivant avec handicap sous la vigilance et la surveillance des jeunes que je nomme les « héros » de l’histoire. La grâce divine agissant, les autres héros sont revenus aider à l’évacuation de ces vulnérables dans le quartier Buhene. La chance !
Si l’alarme de l’observatoire volcanique de Goma avait sonné, les dispositions allaient être prises bien avant et la panique folle aurait été évitée. Dieu seul sait combien de personnes sont traumatisées depuis ce jour et peut-être, n’auront pas la chance de consulter des spécialistes !
D’autres quartiers éloignés de la source de lave, une grande partie de la population, est restée en alerte avant l’évacuation générale, étant donné la faible vitesse de la lave. Des appels à l’aide humanitaire ont commencé en faveur des premiers déplacés, qui manquaient de tout pour survivre. Gratitude à toutes ces personnes qui se sont mobilisées.
Le dimanche matin, la coulée de lave s’est estompée ! Un miracle. Fallait-il revenir ?
Acte 3 : 2e épisode d’évacuation, tremblement de terre, reprise d’éruption
Une autre phase cruciale et rocambolesque s’annonçait. Les activités sismiques de forte intensité ont enclenché une panique générale et détruit quelques maisons à Goma.
L’autorité publique qui n’avait pas déclenché l’alarme (Dieu sait combien d’exercices de simulation avaient eu lieu en son temps dans cette ville, et l’autre dirait, « tout cet argent du contribuable dépensé en vain ? » ) a par miracle retrouvé le matériel adéquat enfoui dans des entrepôts de la douane, par manque de ressources de dédouanement (après tout, les priorités gouvernementales sont ailleurs, festivités de l’indépendance par exemple…) et dans l’effervescence de cette puissance publique retrouvée, l’alarme sonna. Après que la lave soit passée, qu’est-ce qui peux encore occasionner ce signalement ? Peut-être que le voisin du « général » Nyiragongo, le « gentil » Nyamulagira connu plutôt pour son attitude docile de cracher son feu dans le parc (au grand dam des conservateurs de notre écosystème) est entré en danse, fulminaient certains.
Oh que non : c’était une erreur de manipulation de l’alarme ! Comprenez !
Comme si cela ne suffisait pas, tôt le matin, alors que la surveillance du volcan est renforcée, un autre communiqué officiel tombait, (alors certains se demandent que croire finalement ? Est-ce que ce n’est pas une erreur supplémentaire ? Seul l’avenir nous le dira). L’évacuation « obligatoire » de 10 quartiers sur les 18 que compte Goma pour cause d’une imminente nouvelle éruption, qui pourrait se produire dans le lac Kivu, ce qui pourrait libérer massivement du gaz carbonique tueur sous le lac ( il y a lieu de rappeler que le gaz méthane inexploité se concentre, ce fait est connu depuis des lustres, mais le lancement du dégazage traine, comme toujours, notre gouvernement attend gérer les crises, prévoir n’est pas une bonne option, puisqu’on n’a pas peur ! Nous sommes le gouvernement !).
Les habitants des quartiers de la ville se trouvant sur le tracé des fissures volcaniques, doivent évacuer vers des sites indiqués (Sake, Kibumba, Bukavu, etc.)
Ok, les habitants des quartiers indiqués, mais pas seulement, prennent leurs valises et exécutent l’ordre de la hiérarchie. Arrivés au lieu de refuge à Sake (près de 20 km de Goma) pour la grande majorité, la belle nature verte (avec une rivière salée, une eau non potable) et des pans entiers de forêts du parc des Virunga les accueillent. Aucun dispositif public préparé pour accueillir les centaines de milliers de population qui veulent cette fois croire au bon déclenchement de l’alerte d’évacuation. Evacuer plus de 10 000 personnes sans plan de contingence revient à déclencher une famine sans précédent, exposer les personnes vulnérables à des risques sanitaires graves. Plusieurs femmes enceintes ont fait des fausses couches, des disparitions d’enfants ont été enregistrés, des tracasseries policières signalées, un monde sans loi, bonjour le chaos. On n’a pas peur ! Nous sommes le gouvernement !
Le même jour, certains courageux face au spectacle de désespoir des sites d’accueil à Sake ont décidé unilatéralement de regagner Goma.
Ne voyant pas de salut là ou les autorités leur avaient indiqué d’aller. Certains continuaient d’évacuer, d’autres regagnaient la ville.
Une scène ahurissante qui n’a pas laissé indifférente le « général » Nyiragongo, qui décida de faire une pause de séismes, de ne pas se rapprocher du gaz du lac, et même de refroidir son magma de feu souterrain. Cette fois, la peur a changé de camp…
11 jours après, très exactement le 7 juin, le communiqué officiel du gouvernement invitait les personnes déplacées à regagner leurs résidences car la menace était passée. Le même communiqué demandait aux personnes sinistrées totales (dont les maisons avaient été calcinées) de prendre patience avant de rentrer, le temps que l’autorité puisse identifier des nouveaux terrains et reconstruire pour elles des nouvelles maisons. Tout le monde veut y croire !
Le service public n’est pas un privilège, mais un droit !